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fleche  fleche

Bollog standardiste


Bollog travaille au standard d'une grande compagnie privée, nationale ou autre.

C
'est lui qui répond au téléphone après que vous avez entendu le disque imperturbable et déprimant :
"Si vous désirez obtenir le bureau de X, composez le 1 ; si vous désirez obtenir le bureau de Y, composez le 2 ; si vous voulez obtenir le bureau de Z, composez le 3 ; si vous voulez obtenir, blablabla..." ; et ainsi de suite, jusqu'à : "Si vous désirez parler à quelqu'un d'autre, restez en ligne et attendez..."
Vous avez tenu le coup, vous n'avez pas raccroché tout de suite, vous ne vous êtes pas arraché les cheveux, vous n'avez pas piétiné le téléphone, non ! Il est encore très tôt, la journée vient juste d'éclore. Vous avez pris un calmant et décidé de rester en ligne.
Après un long intervalle cadencé de la 40e de Mozart, la voix de Bollog, enfin, est en ligne :
Mozart
- Allô, service du secrétariat, j'écouuute...
- Bonjour, je...
- Ne quittez pas, je suis à vous tout de suite.
La 40e de Mozart à nouveau puis la ligne est coupée et vous recommencez : "Si vous désirez obtenir le bureau de X, composez le 1 ; si vous désirez obtenir le bureau de Y, composez le 2 ; si vous voulez obtenir le bureau de Z, composez le 3 ; si vous voulez obtenir, blablabla...".
Vous en êtes à votre 11e essai. Soyons franc, vous vous y attendiez un peu. Vous en avez parlé plus d'une fois entre amis, chacun racontait à voix basse les pénibles moments endurés.
Tante Bertha
Le suicide de la tante Bertha
Et le suicide de la tante Bertha ? N'avait-on pas soupçonné que la cause en avait été une attente accablante ?
La pauvre femme était restée des heures au bout du fil en essayant d'obtenir un renseignement, tout compte fait, bien anodin.
Vous, décidée à survivre, vous fredonnez la 40e de Mozart et vous vous cramponnez après avoir avalé un deuxième calmant. L'attente n'est pas si interminable, il ne fait pas encore nuit.
Bollog est revenu :
- Allô, service du secrétariat, je vous écouuute...
- Oui, je voudrais savoir si...
- Ne quittez pas, je suis à vous dans un instant...
C'est reparti...
Vous commencez à exécrer la 40e de Mozart. L'attente est longue, plus longue que la dernière fois, si longue que la communication s'interrompt. Il faut tout recommencer :
"Si vous désirez obtenir le bureau de X, composez le 1 ; si vous désirez obtenir le bureau de Y, composez le 2 ; si vous voulez obtenir le bureau de Z, composez le 3 ; si vous voulez obtenir, blablabla et blablabla..."
C'est votre 76e essai. Le jour décline. Les ombres flétries et maussades du crépuscule teintent le ciel d'une couleur affligée. Quelque part, au loin, un chien hurle à la mort...
Vous décrétez que jamais plus vous n'écouterez du Mozart.
Bollog revient au bout du fil :
- Allô, service du secrétariat, je vous écouuute...
Aïe ! Vos nerfs ont craqué et c'est vous-même qui, dans un sursaut nerveux, avez reposé le récepteur et coupé la communication.
Le suicide de la tante Bertha ne quitte plus votre esprit ; mais vous ne capitulerez pas ! Courage, encore une fois : dring, dring, et cette fois vous entendez :
"Les bureaux sont fermés, rappelez donc demain."


Droits d'auteur ©nikibar.com 2006 - Reproduction, traduction, adaptation, interdits sans le consentement de l'auteur.

"Parfois, six appareils marchaient en même temps, et le standardiste ne savait où donner de la tête."
Georges Simenon, L'Amie de Mme Maigret

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