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Il faisait beau |  Texte proposé par Selfcontrol |  Le temps des bergamotes |  Texte proposé par Agnès H

Il faisait beau - Texte proposé par le site

Il faisait beau, terriblement beau. Il avait plu cette nuit et ils évitaient les flaques qui creusaient le sentier. La forêt gorgée d'eau et de chaleur vibrait de tous ses bois.
Jean et Magali marchaient main dans la main, et il sentait la paume crispée de Magali. Il savait que cette promenade était dure pour elle, que c'était une corvée qu'elle accomplissait néanmoins, par amour pour lui. Elle était devenue une femme lasse, une femme fatiguée.


Mais elle n'était pas devenue comme ça facilement, cela avait pris du temps, beaucoup de temps en fait.
Le temps, d'ailleurs, l'avait souvent désapprouvée, faisant par-ci, par-là, quelques tentatives de rajeunissement. L'une d'elles s'appelait José. Jolie tentative, aussitôt aimée, aussitôt oubliée ! (auteur)
Ce n'était pas volontaire, chez elle, c'était ainsi, sa mémoire sautillait sur les histoires, les évènements, les émotions, pour repartir plus légère encore, pour d'autres rencontres, d'autres illusions...
Seul Jean l'avait arrêtée ! Sa mémoire, ce jour-là, s'était trouvée alourdie d'un sentiment d'amour épais comme une tartine de pain, une grosse tartine de pain !
Magali l'avait entamée avec le même appétit qu'elle mettait à prendre toutes les choses de la vie, et elle s'était retrouvée comblée. Avec une certaine surprise, il fallait bien l'admettre.
"Je n'ai rien compris ; à ce moment-là, j'ai cru que j'avais une plus grande faim que les autres fois !".
Jean se tourna légèrement vers elle :
- Tu me parles ? (auteur)
- Non, non, s'excusa-t-elle un peu embarrassée, je pensais... que j'aimerais bien manger quelque chose...
- Veux-tu que nous allions au Chalet ? C'est à quelques minutes d'ici... D'ailleurs il est bientôt l'heure de déjeuner.
Magali acquiesça : elle se sentait fatiguée et l'idée de s'asseoir un peu lui souriait.
Le Chalet était un petit restaurant sympathique, connu plus pour la faconde de son propriétaire que pour la qualité de ses plats. Sa femme l'appelait "Chouchounet" et ceux qui fréquentaient souvent ce lieu avaient pris l'habitude de faire de même. "Chouchounet, tu nous racontes la dernière de ta pêche à la truite ?", "Chouchounet, tu as encore oublié de saler le gigot ?" et Chouchounet de rire, de s'asseoir à la table des convives et de narrer longuement sa pêche de la veille...  (auteur)
Elle murmura quelque chose d'indistinct et Jean demanda :
- Qu'est-ce que tu dis ?  (auteur)
- Je pensais tout haut, éluda Magali ; c'est encore loin ?
Jean prit son ton évasif habituel pour lui répondre qu'ils arrivaient déjà au Chalet. Il n'avait qu'une certitude dans la vie : Magali. Tout le reste se perdait dans des zones d'ombre, des approximations, des incertitudes bienheureuses, un temps incertain, flottant... (auteur)
Magali s'appuya sur son bras : elle n'en pouvait plus de fatigue. Elle fit une grimace en découvrant qu'il lui fallait gravir un escalier en hautes pierres taillées, mais ne dit rien, contente de pouvoir enfin s'asseoir... (auteur)
*
Adela ferma le livre d'un coup sec. "Décidément, cette histoire est à mourir d'ennui !" soupira t-elle en se levant...
Elle se dirigea vers la cuisine, puis changea d'avis. Elle avait besoin de bouger, les personnages du roman lui donnaient des fourmis dans les jambes ; elle se décida pour une ballade au parc. (auteur)
Il y avait peu de promeneurs dans le parc, il avait plu la veille et les chemins détrempés n'incitaient pas à la balade. Elle-même n'éprouvait pas un grand plaisir à marcher dans les allées où la terre adhérait aux semelles de ses chaussures.
"Je fais trois fois le tour de la place et je rentre..." se dit-elle.
Les nuages se diluaient peu à peu, le ciel s'éclairait et le soleil prenait plus de vigueur. L'air se réchauffait doucement.
Adela décida de s'asseoir un moment sur un banc et se mit à observer les passants. Des joggeurs se réjouissaient de pouvoir courir sans que la foule des promeneurs habituels du parc n'entrave leurs courses.
Un homme arrivait sur sa droite et elle vit son visage se transformer : une femme en face se rapprochait de lui et c'est justement à hauteur d'Adela qu'ils se retrouvèrent.
- Ah ! Magali ! Je suis si content...
- Jean... dit la femme. Depuis cette histoire du Chalet, je me demandais si nous parviendrions à nous rencontrer...
Adela était bouche bée... (auteur)
Elle avait pourtant l'habitude de ces incartades imaginatives ; son goût de l'extraordinaire lui jouait souvent des tours, mais là, il s'agissait d'autre chose, autrement plus déstabilisant !
Ce n'était ni une impression de déjà-vu, ni une hallucination visuelle ; d'ailleurs, elle se leva, fit un pas en avant et se trouva quasiment "nez à nez" avec ce couple étrange !
Leurs regards la frôlèrent, puis ils se détournèrent pour replonger dans la fascination de leur rencontre. Ils continuaient à parler mais Adéla ne les entendait plus ! Une autre voix, impérieuse, lui demandait de partir, vite, sans se retourner ! (auteur)
"Encore toi !" ragea-t-elle intérieurement!
Depuis le départ définitif et irrémédiable de Victor de sa vie, Adéla était régulièrement poursuivie, assistée, persécutée parfois par la belle voix de son homme ! Elle avait même fait le choix de quitter l'enseignement, persuadée que renonçant à leur passion commune, il la laisserait enfin mener sa vie. Enfin, sa vie, façon de parler, une vie, quoi ! Une vie dans laquelle elle pourrait se déplacer, parler aux autres, rire, boire et chanter sans l'avoir constamment "dans l'oreille" ! C'était pénible à la fin, cette présence quasi-constante, cette impolitesse éhontée qu'il manifestait en toute occasion ! Les seuls moments où sa voix s'absentait, c'était pendant les moments de lecture et d'écriture ! (auteur)
Le couple devant elle capta à nouveau son attention. Ils se tenaient face à face, leurs regards fondus, et Jean dit à Magali d'une voix noyée :
- C'est fou comme tu ressembles à Adela...
Aucun d'eux ne remarqua le sursaut d'Adela. Ils allèrent s'asseoir de l'autre côté de l'allée sur le banc face au sien. Elle ne les entendait plus...
Le coeur en feu, la jeune fille était sur le point de s'évanouir. Ses mains tremblaient fort, elle étouffait, elle respirait mal. Dans cet état panique, elle était incapable de comprendre ce qui lui arrivait. (auteur)
Cela pouvait-il être un hasard ? Elle commençait à mieux contrôler sa respiration et retrouvait peu à peu sa lucidité et pouvait à présent analyser la situation.
Elle s'était levée ce matin comme d'habitude, c'était un dimanche bien banal, elle avait plein de temps de libre et elle avait ouvert un livre en espérant fuir la pensée de Victor et ses souvenirs...
L'histoire des deux héros, Jean et Magali, l'avait ennuyée au point qu'elle avait vite refermé le livre et était sortie s'oxygéner un peu, détendre ses muscles...
Et... qui rencontrait-elle ? Un homme et une femme, Jean et Magali, en tout points semblables aux héros de cette histoire stupide. Ils étaient là, à deux pas d'elle, sans faire aucunement attention à elle, et voilà que Jean parlait d'elle ?
Adéla se secoua. Non, c'est impossible cela ne pouvait être qu'un extraordinaire hasard !
Rassérénée, Adéla se sentit amusée par cette étrange rencontre. Brusquement elle se leva et se dirigea vers le couple... (auteur)
Au même moment, une troupe d'enfants déboula au milieu de l'allée et la stoppa dans son élan. Le temps de laisser s'écouler la vague enfantine, de lever les yeux de ses chaussures pour les poser sur le banc en face et... le couple avait disparu !
Alors, sans réfléchir, Adéla fit volte face et se mit à courir. Sans but, sans pensée, sans projet. Rien qu'un furieux besoin de courir, d'échapper coûte que coûte à cette histoire folle au point qu'elle ne savait plus si elle la vivait ou l'hallucinait ! (auteur)
Il y avait beaucoup de joggeurs qui courraient, mais elle ne passait pas inaperçue : ses habits et son air hagard la dénonçaient. Elle courut ainsi un bon quart d'heure, pour s'arrêter, à bout de souffle, près d'une allée qui faisait le tour d'un petit lac. Il n'y avait personne dans ce coin et petit à petit elle réussit à reprendre ses esprits.
Adéla décida de rentrer en faisant un détour pour ne pas risquer de rencontrer le jeune couple. Pourtant, elle regrettait déjà sa panique : "J'aurais dû leur parler, se disait-elle, leur demander des explications, essayer de comprendre..."
Mi-soulagée, mi-inquiète, elle arrivait chez elle. Elle ouvrait la porte d'entrée de l'immeuble lorsque quelqu'un derrière elle l'accosta en demandant : "Excusez-moi, savez-vous où habite une jeune femme qui se prénomme Adéla ?" (auteur)
Avant même de se retourner, Adéla savait que c'était Magali. Jean était avec elle...
Cette fois, Adela décida de faire face et sans l'ombre d'une hésitation, se retourna et plongea son regard dans celui de Magali. Un regard vert clair, mature et qui semblait interroger le monde sans détour et sans prétention. Adéla sourit, largement, généreusement et son sourire parlait à sa place. Ce qui était en train de se passer là, sous les yeux attentifs de Jean, se passait de mots. Le seul mot honnête qui pût convenir aurait encore trouvé le moyen de s'égarer dans une langue aride ou trop précise ! (auteur)
Magali la regardait et semblait intriguée :
- Quelque chose ne va pas ? Vous semblez... bizarre...
- Non, répondit Adéla en chassant les fantômes de sa tête. Non, je vais bien. Vous venez me voir ?
Adéla avait décidé d'affronter cette réalité qui la dépassait et où elle ne trouvait pas bien sa place. Elle n'attendit pas leur réponse et les fit entrer, les guida jusqu'au salon et les invita à s'asseoir
- Alors ?  (auteur)
C'est Jean qui prit la parole :
- Nous vous avons rencontrée ce matin lorsque Magali et moi allions au Chalet...
Adéla ne réagit pas. Elle se sentait dans un état second, une brume légère tamisait ses pensées. (auteur)
- Vous ressemblez beaucoup à ma soeur... dit Magali. Jean et moi avons eu envie de vous rencontrer, de vous parler...
- Votre soeur, quelle soeur ? articula péniblement Adéla, éprouvant de grandes difficultés à émerger de l'état semi-comateux dans lequel elle s'enfonçait de plus en plus. (auteur)
Ils étaient assis tous les trois dans le salon d'Adéla, trois étrangers qu'un lien étrange unissait cependant. Adéla se leva pour arranger un tableau qui pivotait d'une miette puis poussa un vase d'un millimètre, gestes inutiles, absurdes, comme si elle cherchait à gagner du temps. Elle se rassit, prit une profonde inspiration et se jeta :
- Attendez, vous me parlez d'un chalet, de votre soeur... Pouvez-vous m'expliquer ?
- Très bien, dit Jean. Ce matin, en fin de matinée plutôt, nous allions au Chalet et nous vous avons aperçue.
- Je n'étais pas au Chalet !
- Si vous y étiez !
- Vous étiez cachée derrière les pages de votre livre, ajouta Magali, perfidement...
- De quoi parlez-vous, bredouilla Adéla ?
Jean se voulut apaisant :
- Vous étiez à une table proche de la nôtre et vous lisiez un livre.
- Vous dites n'importe quoi, bredouilla Adéla. Vous n'êtes pas arrivés au Chalet...
- Parce que vous avez arrêté votre lecture, accusa Magali !
- Pourtant, ajouta Jean, une page de plus, et vous auriez su que nous y sommes arrivés !  (auteur)
"Une page de plus, pensa Adéla, cet homme est fou !"
Elle ferma les yeux, les rouvrit. Jean ne la regardait pas mais il était toujours là ; Magali, quant à elle, s'était confortablement installée dans le seul fauteuil du salon. Et tout cela avait l'air bien réel...
Il n'y a parfois qu'un mince fil qui sépare la réalité du fantastique. Adéla était consciente de cette frêle frontière, elle sentait un abîme dans ses pensées, et savait qu'elle pouvait facilement y basculer...
Elle pensait même avoir de la fièvre... Oh, que ce serait bon de tout expliquer ainsi : "J'avais de la fièvre, je délirais, ces gens semblaient exister vraiment..."
Mais, quoique fébrile de tension nerveuse, elle savait bien qu'elle n'était pas malade et qu'il ne mènerait à rien de contourner la vérité : l'absurde était là, chez elle, devant ses yeux !
- Qu'allons-nous faire maintenant ? demanda-t-elle d'une voix vide.
Jean et Magali se regardèrent, surpris.
- Que voulez-vous dire ?
- Écoutez, nous nageons en plein non-sens : vous êtes des personnages irréels, vous êtes des êtres virtuels, nés de l'imagination d'un écrivain, vous n'êtes pas RÉELS !
Elle avait dit cela d'une traite, sans réfléchir, et surtout, sans les regarder. Il y eut un long silence glacé... Enfin, Adéla rouvrit les yeux et regarda le couple. Ils semblaient un peu amusés, pas du tout blessés par sa tirade.
Jean se leva, s'approcha d'elle et, la regardant bien en face, lui dit :
- Et si vous êtiez, vous aussi, un personnage de roman ? (auteur)
C'était une nouvelle à tomber par terre ! Adéla se dit qu'elle voulait, là, maintenant, retrouver le vieux nounours en peluche beige de son enfance, et se coucher en suçant son pouce !
Ils ne dirent plus un mot. Jean fixait le bout de ses chaussures, Magali triturait nerveusement un mouchoir et Adéla lissait sans fin un pli de sa manche. Un terrible silence les enveloppait.
La sonnette les fit sursauter tous les trois. Adéla se leva pour ouvrir.  (auteur)
Joséphine, la petite vieille du deuxième, se tenait sur le pas de la porte, comme à son habitude, le dos légèrement courbé, le regard larmoyant, son chat dans les bras ! Adela s'attendant à tout sauf à elle, eut une bouffée de reconnaissance à son égard et, oubliant son habituelle réserve, s'entendit lui proposer d'entrer boire un café ! (auteur)
- Entrez, Joséphine, vous allez boire un café avec nous !
Adéla fit entrer la vieille dame. Joséphine regarda les deux jeunes visiteurs avec curiosité :
- Je ne veux pas vous déranger, vous recevez des amis...
- Vous ne nous dérangez pas, Joséphine, asseyez-vous... Je vous prépare du café ?
Adéla, au comble du soulagement, heureuse de cette pause dans cette journée si trouble, se rendit à la cuisine. Lorsqu'elle revint dans le salon avec un plateau, elle trouva Joséphine debout, prête à s'en aller, tenant son chat serré très fort contre elle ; la vieille dame murmura d'une voix haletante : "Ne m'en veuillez pas, je ne peux pas rester..." Joséphine semblait nerveuse, elle répéta plusieurs fois encore : "Ne m'en veuillez pas, ne m'en veuillez pas..." et se dirigea vers la porte d'entrée.
Sur le palier, la vieille dame regarda intensément la jeune fille : "Je ne peux rien faire, je suis vraiment désolée..."
La pause était finie... Adéla revint au salon et se rassit face aux deux jeunes gens qui semblaient n'avoir pas bougé d'un pouce.
- Servez-vous du café, leur dit-elle, en désignant le plateau qu'elle venait de préparer.
Elle n'avait même pas la force de le faire. Jean et Magali ne bougeaient pas plus qu'elle. Le silence s'installa à nouveau, mais ce fut bref : un nouveau coup de sonnette fit sursauter Adéla. "C'est sûrement Joséphine" dit Adéla en se levant. Elle remarqua le signe de dénégation de ses visiteurs et, à nouveau, cette attente...
Son angoisse était revenue, encore plus enveloppante que précédemment. (auteur)
Elle frissonnait un peu. Elle se tourna vers les deux autres et vit qu'ils semblaient particulièrement attentifs... quelque chose n'allait pas...
C'est dans un silence livide qu'elle finit par ouvrir. Elle remarqua que sa main tremblait en actionnant la poignée. Elle essaya de se calmer, de faire le vide, de maîtriser sa respiration. Le ressort du loquet se libéra et elle finit par ouvrir la porte. L'entrée était sombre...
Il n'y avait personne sur le palier. Elle fit juste un pas pour vérifier. Le couloir était désert, à peine éclairé de l'étroit vasistas de la cage d'escalier. Il faisait froid et elle pensa que le locataire du deuxième avait encore laissé le vantail de l'imposte ouvert.
"Il n'y a parsonne !" dit-elle à haute voix, reculant pour rentrer chez elle. Elle se sentait glacée, toutes ces émotions l'avaient brisée. "Je vais dire à Jean et Magali de rentrer chez eux, je dois me reposer. Je leur dirai de revenir demain : j'aurai la tête plus claire et on pourra mieux se comprendre..." Elle se sentait si faible qu'elle avait même du mal à se tenir debout. se jambes ne la portaient plus, son coeur battait à peine et son champ visuel s'obstruait de plus en plus...
"Je vais m'évanouir... " pensa-t-elle encore. Elle eut juste le temps de percevoir, en haut de l'escalier, la vieille Joséphine qui disait d'une voix terriblement aiguë: "Trop tard, le livre l'a absorbée..."
Elle perdit connaissance.
Adéla pensa d'abord qu'elle s'était endormie. Vous savez, il arrive souvent qu'on éprouve un moment de déconnection totale au réveil, où l'on ne sait plus quelle est la date ni où on est...
Les yeux entrouverts, elle ne voyait que du noir. "Il fait encore nuit..." se dit-elle. Petit à petit, des bribes de conscience lui revenaient. Elle se dit qu'elle avait enfin pu se débarrasser des deux jeunes gens d'hier... Elle s'imaginait être dans son lit mais il lui manquait une dimension : son corps semblait éthéré, fluide, sans contours... (auteur)
Elle essaya de bouger. Quelque chose ne fonctionnait pas comme d'habitude : elle avait l'impression d'être engluée dans une toile d'araignée : elle pouvait bouger, mais ses mouvements étaient cotonneux, mous...
Il y eut soudain une lumière violente et beaucoup de bruit...
Quelqu'un venait d'ouvrir le livre... (auteur)
La vieille Joséphine aimait bien lire quelques pages le soir avant de s'endormir. Elle s'était couchée un peu plus tôt ce soir-là. Elle pris ses lunettes à grosse monture ciselée et les ajusta, un peu au bout du nez.
Elle s'installa, le dos bien calé contre l'oreiller, but quelques gorgées de sa tisane à la verveine et prit son livre avec délice.
Cette lecture la passionnait. Elle en rêvait même parfois la nuit. (auteur)

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Sans titre 3 - Texte proposé par Agnès H

Allongé sur la moquette, Peter contemplait la poussière qui volait sans se soucier le moins du monde de ce qui se passait autour de lui. Il finit par rouler sur le ventre pour regarder Jeanne.
- Tu cherches quelque chose ? demanda-t-il.
- Quelle perspicacité ! Je cherche un élastique...
- Un élastique ! Exactement ce qu'il nous faut pour en terminer avec ce relooking. Tu as trouvé ?
Elle s'immobilisa le temps de nouer ses cheveux puis replongea dans le tas de vêtement. Au bout d'un quart d'heure, elle se redressa, un sac dans les mains.
- Tu as déjà trouvé ? dit le jeune homme ironiquement.
- Je reviens tout de suite ! Ne bouge pas Peter !
Quelques minutes plus tard, elle revint. Petites sandalettes noires, jean retroussé sur les chevilles, la taille ceinte d'une large ceinture de cuir noir nouée sur une chemise d'homme, elle avait tout l'air d'un jeune corsaire.
- Pas mal, siffla Peter... Bon, maintenant si on allait manger ? Je meurs de faim. (auteur)
Jeanne était ravie : elle adorait que Peter la regarde se préparer, qu'il l'attende. Elle était prête à présent, prit ses lunettes de soleil qu'elle accrocha dans ses cheveux, comme un bandeau. Elle prit le bras de Peter.
Comme tous les mardis, ils allaient manger une pizza ou des pâtes chez Paulo, un de leurs amis.
 (auteur)
Mais rien ne se passa comme à l'ordinaire... Les pâtes et la pizza, à la grande surprise de chacun, avaient été retirées de la vente dans tous les magasins de France et de Navarre puis furent interdites en raison d'une guerre civile annoncée à la radio le matin même.
Interdit de manger des pâtes et de la pizza sous peine de condamnation à mort. La dictature culinaire venait de naître dans le pays le plus gastronome au monde. L'État commença par interdire la pizza et les pâtes puis continua avec les hot-dogs. Une nouvelle politique était née sans le consentement du peuple. L'État décida d'inhiber la volonté de chacun afin de prendre le contrôle de manière à pouvoir manger tous les stocks de pizza, de pâte et de hot-dog à lui seul et cela sans aucune révolte du peuple.
Une loi visant à mettre l'individu dans une sorte d'état végétatif arrosé par un jardinier n'ayant absolument aucune connaissance en horticulture... Une nouvelle civilisation pour des citoyens qui n'en veulent pas et n'ont rien demandé d'autre que de manger de la pizza, des pâtes et des hot-dogs.
Soi-disant un avenir meilleur en plaidant le changement mais qui en réalité est un grand pas en arrière en faisant croire à quelque chose de nouveau.
Pour reprendre une grande phrase de Armstrong et la modifier pour les circonstances : "Un petit pas pour l'homme mais un grand pas pour l'humanité". Dans ce cas bien précis, je dirais cette fois : "Un petit pas pour l'homme mais un grand pas pour la fin des libertés."
Peter et Jeanne le comprirent et décidèrent de se révolter en créant une société secrète et souterraine où cette fois une réelle civilisation pourrait voir le jour et devenir l'avenir de demain...
Ils remplacèrent respectivement les pâtes, la pizza et les hot-dogs par des munitions, des scies circulaires et des armes...
En effet, une belle civilisation sans violence en remplissant les hot-dogs de pâtes pour commettre des assassinats et sabotant les propriétés de l'État à l'aide de pizzas...
Mais était-ce une bonne solution ?  (auteur)
C'est alors que Peter et Jeanne décidèrent de ne pas mourir de faim et de faire fi de ces stupidités. Après tout, nous étions le 1er Avril et ces informations ne firent que les amuser.
Peter éteignit la radio et entraîna Jeanne vers le resto de Paulo. Ils le trouvèrent tout plié, inondé de larmes de rire, accroché au cou d'un consommateur dans le même état que lui. Les autres tables étaient aussi survoltées, la gaieté soulevait les nappes, les spaghettis et les pizzas, et les serveurs hurlaient de rire ! (auteur)
Ils étaient pris de spasmes de rire, hilares, mais le doute s'était emparé d'eux ; ils ne savaient plus que penser...
Les pizzas étaient devenues nauséabondes et dégageaient une odeur mortifiée ; les papilles retournées d'écœurement, l'esprit perdu dans la brume, ils ne savaient plus s'ils devaient rire ou pleurer.
Et si toute cette nourriture, au fond, n'était que cochonnerie dont la seule fonction était de réduire le corps humain à sa déchéance ?
La salle du resto fut illuminée par cet éclair de lucidité... (auteur)
Et le plus risible, dans tout ça, c'était bien que pour vouloir rester en vie, physiologiquement, aussi misérablement que simplement, il fallait devenir son propre bourreau : entraîner sa propre déchéance... Alors, la seule façon de se décider vivant et rester libre, était-ce de se laisser mourir de faim ?
Tout le monde décida de rentrer se coucher, pour tenter de se réveiller de ce cauchemar dès le lendemain...
Quand le réveil sonna, Peter ouvrit les yeux, tentant d’émerger de ce cloaque de nouvelles étranges dans lequel ils étaient tombés la veille. Puis la solution lu apparut soudain : quand on rêve, on a plus faim. Quand on aime, itou. Venait donc enfin le moment de reprendre les rênes des émotions et du vivant, pour vivre sans dépérir. (auteur)

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On peut encore écrire une suite !

Participants : adiedu59, Boom, alban.vigliano, Communication, Agnès H
Écrivez la suite à Archives - Sans titre 3

Le temps des bergamotes

Cela faisait longtemps que Jeorg ne la considérait plus comme une enfant et c'était bien ainsi car elle n'en avait jamais été une. Juliette détenait une sagesse et une profondeur d'esprit incompatibles avec ses quinze ans. Il y avait en elle une blessure qui la rongeait et qui lui donnait une gravité presque gênante. Elle savait toujours ce qu'il fallait faire et il l'écoutait, redevenait raisonnable.
Jeorg s'enfonça un peu plus dans son fauteuil.
"Qu'est-ce qu'on va faire ? Elle va repartir, c'est sûr, et moi je ne m'en sortirai jamais tout seul... "
Il avait tort de penser cela. Il avait un boulot qui lui donnait une entière indépendance : Jeorg était bailleur de fonds et on le respectait avec des saluts qui lui tombaient en pluie sur les orteils.
Américain jusqu'à l'âge de neuf ans, il en avait encore l'accent, l'amour des hamburgers, de l'argent et de la réussite. Présentement lorrain, il avait appris à apprécier la quiche et les grandes entreprises auxquelles il baillait des sommes parfois considérables. (auteur)
La fameuse graineterie "Les Corneilles" de Nancy avait fait appel à ses services massivement. Tout le pays savait qu'il baillait aux Corneilles (auteur)
quelques heures par semaine, mais que, paresseux comme ce n'est pas possible, il passait le reste de son temps à bayer aux corneilles. (auteur)
Il songea à demander de l'aide à son cousin PtitPois de l'Abbaye O'Coneil d'Edimbourg. (On l'appelait Ptitpois dans la famille parce qu'il était écossais.) (auteur)
Ptitpois connaissait bien Juliette à la sagesse un peu lourde, et il connaissait leur secret, savait ce qui rendait Jeorg tellement dépendant de la jeune fille et pourquoi elle voulait partir.
"C'est une bonne idée ! pensa Jeorg. Oui, il faut que j'appelle Ptitpois."
Aussitôt dit, aussitôt fait, et Ptitpois ne fut pas long à se rendre chez Jeorg. Depuis quelques heures déjà il tournait en rond en se tournant les pouces dans la boîte où il travaillait, désoeuvré, en attendant la fermeture et, dès l'appel de son cousin il se dépêcha de tout boucler. Jeorg s'extirpa gaiement de son fauteuil en voyant Ptitpois :
- J'ai toujours besoin de toi chez moi, tu vois, Ptitpois...
Entre les deux hommes, Jeorg, le paresseux, le bailleur de fonds qui passait son temps à bayer aux corneilles en bâillant à s'en décrocher la mâchoire, et Ptitpois, son confident de toujours, son cousin issu de Germain, son cousin germain, donc pas germain mais cousin quand même, régnait une solide complicité.
Jeorg observa son cousin :
- Tu as l'air un peu fatigué, non ?
- Un peu, oui, avoua Ptitpois. Comment as-tu deviné ?
- Tu es tout vert... Es-tu malade ?
- Non, tu sais, depuis qu'on a ouvert la boîte, là où je bosse, je suis cuit, étuvé jusque-là !
Ptitpois fit passer sa main au-dessus de son crâne pour marquer son ras-le-bol (auteur)
et ajouta :
- Tellement crevé que j'ai dû renoncer à un voyage en Macédoine. (auteur)
- Bon, bon...
Jeorg semblait agacé. Il n'avait pas demandé à son cousin issu de germain de venir pour écouter ses jérémiades mais pour que lui écoute les siennes.
- Assez avec tes salades ! J'ai besoin de toi, j'ai un problème avec Juliette : elle veut me quitter.
- Ah ? Et ?
- Tu ne comprends pas ? Qu'est-ce que je vais devenir sans elle ?
- Je sais qu'il y a un secret entre vous, mais tout ira bien, qu'est-ce que cela va changer pour toi ? Tu me disais hier encore que ses pommes de terre sautées étaient un désastre.
- C'est vrai. Mais elle savait passer l'aspirateur comme personne.
Jeorg fronça les sourcils et ajouta :
- Encore qu'elle ne nettoyait jamais sous le lit. Ni sous l'armoire...
- Alors ? Pourquoi la gardais-tu ?
- Elle ne passait pas la serpillière bien souvent. Bon sang, que je suis bête ! Il faut que je trouve une femme de ménage !
Les deux hommes se congratulèrent, heureux d'avoir résolu ensemble un problème si épineux. Jeorg allait mettre des annonces et si Ptitpois connaissait quelqu'un, il en parlerait à Jeorg, promis.
Jeorg finit par trouver l'oiseau rare : la fée du logis, la femme de ménage qui fait vraiment le ménage. Oh, il n'avait pas ménagé sa peine ; entre deux baillements aux Corneilles, il suivait les pistes, se rendait aux adresses qu'on lui indiquait. Lorsqu'il se trouva en face de Camomille, il se sentit apaisé et décida tout de go : cette femme travaillerait pour lui. (auteur)
Le déclic fut immédiat avec elle (auteur)
quoiqu'il y eut un hic : Camomille fumait comme une cheminée. Elle vaquait à ses tâches, le mégot collé entre ses gencives en exhalant de fétides relents de tabac gâté. Malgré ce désagrément et ses dents jaunies, elle plaisait à Jeorg et fut embauchée. Elle prit très vite les choses en main. (auteur)
Mais sa froideur eut vite fait de lui faire regretter Juliette. Camomille venait, ponctuelle, à 8 heures, et le quittait, ménage terminé, à quatorze heures. Avant de partir elle avait encore fait la vaisselle et préparé le dîner, puis elle lui chauffait son thé, le lui apportait, se fendait d'un "À demain, monsieur Jeorg...", et s'en allait. (auteur)
Et tandis qu'elle s'éloignait en fumant derrière lui, il restait seul, avec l'infusion de Camomille fumante devant lui, et ses pensées volaient vers Juliette. (auteur)

Ils avaient grandi ensemble après la mort tragique des parents de Juliette ; elle n'avait que onze ans. Ils étaient cousins germains du côté maternel, et les parents de Jeorg avaient recueilli l'orpheline. Elle s'était vite adaptée à son nouveau foyer tout en gardant ses marques, son indépendance, son silence... Elle s'exprimait peu, ne riait jamais mais elle avait ses raisons et la perte de ses parents n'en était qu'une partie. Parfois elle rentrait le matin sans que personne ne sache si elle avait dormi là ou pas. Elle avait un air d'illuminée sur son visage, ne répondait pas aux questions qu'on lui posait, s'isolait dans un mutisme que seul Jeorg comprenait. Les membres de la famille apprirent vite à respecter ses silences et ce n'est que bribes par bribes qu'ils prirent connaissance de son terrible destin. Elle portait un regard étrange sur toutes les facettes de la vie et, lorsqu'on croisait son regard, on se sentait bizarre, mal à l'aise, différent...
Elle était terriblement présente, voire indispensable, dans son nouveau foyer. Lorsque Jeorg s'établit dans une autre ville pour étudier le baillement, elle l'avait suivi sans même lui demander son avis. Elle avait déclaré avec force :
- Tu auras besoin de moi. Je ferai les tâches ménagères pour toi.
Juliette n'avait que treize ans, mais toute la famille se rangea à sa décision.  (auteur)
Eux, savaient... Une étroite complicité de clan, de secte presque, les liait autour du secret de Juliette et Jeorg.
La cohabitation se passait bien, Jeorg apprenait à bailler toute la journée pendant que l'adolescente se rendait au lycée, étudiait et s'occupait des travaux de la maison. Deux ans passèrent ainsi sans souci. Elle devint une grande spécialiste des oeufs mimosa et Jeorg obtint son diplôme de bailleur de fonds. Mais elle ne tenait pas en place, taraudée par une force ou une énergie hors du commun. Un jour vint où elle fit ses valises et le prévint de sa décision irrévocable : elle partait au collège. C'est alors qu'il avait consulté Ptipois et embauché Camomille. Mais il restait circonspect. N'y avait-il pas là un rapport avec le fait qu'il était devenu un peu frivole et courait le jupon à longueur de temps ?  (auteur)
Mais si cette idée flattait son égo phallocrate, au fond de lui, il savait que c'était autre chose, qu'il y avait là une histoire plus complexe qu'une improbable jalousie féminine ou un remords de pommes de terres sautées immangeables... (auteur)
Il décida d'en parler à Madeleine, sa nouvelle conquête. Depuis qu'il habitait la Lorraine, il visitait ce coin de France. Et un jour, à Commercy, il vit Madeleine.
Elle était assise dans un café et le bistrotier l'apostropha gentiment en lui disant : "Alors Madeleine, comme toujours, un choco sans sucre ?"
Madeleine ! Ce nom avait évoqué tout de suite une amie d'enfance. Parisienne dont les parents étaient venus travailler aux "States", elle était repartie, adolescente alors que Jeorg en pinçait pour elle, à Paris. Le temps avait passé et il n'avait pas cherché à la revoir. Il était maintenant lorrain. La place de (la) Madeleine était à Paris. Et la Madeleine de Commercy avait évoqué sans le savoir tous ses souvenirs au seul appel de son nom. Comme il la voyait seule, jolie et un peu triste devant son choco, il s'était approché et avait entamé une conversation. (auteur)
- Bonjour, vous aimez le choco, je vois...
- Oui, bof, fit-elle la mine atrabilaire. En fait, moi, ce que j’aime, ce sont les frites de chez Eugène.
Jeorg l’écoutait, déjà subjugué par tant d’innocence et de fraîcheur. Il fera n’importe quoi pour Madeleine : "Je lui apporterai du lilas, je lui en apporterai toutes les semaines et on ira manger des frites chez Eugène, Madeleine elle aime tant ça..."
Pendant que Jeorg et Madeleine faisaient connaissance, que Juliette se tapissait dans l’anonymat du collège, Camomille repassait le linge et faisait cuire des betteraves.  (auteur)
Quant à Ptitpois, il se préparait pour une soirée dansante dans la pure tradition gaélique. Il essayait son kilt, son tartan, ses chaussettes, se trouvait magnifique et virevoltait face au miroir :
"Le kilt me va comme un gant ! Je me demande si je ne devrais pas un peu le raccourcir, mes mollets ressortiraient mieux..."
Le bal aura lieu à Pompon-les-Canailles (petite bourgade proche de  (auteur) Coco-les-Oies, mais ça, c'est une autre histoire...). (auteur)
P'titpois se réjouissait d'autant plus qu'à Pompon-les-Canailles, il devait rencontrer son ami d'enfance, Harry Cow.
Celui-ci s'était installé à Trifouilli-les-Oies, la ville voisine de Coco-les-Oies, et avait promis d'être à la soirée gaélique.  (auteur)
P'titpois et Harry Cow étaient tous deux des anciens des Scottish Guard. Le maniement du couteau n'avait pour eux pas plus de secret que celui du verre de whisky. Et cette soirée gaélique - entre hommes - promettait d'être arrosée. Au banquet, on annonçait la panse de brebis farcie. (auteur)
Jeorg et Madeleine étaient invités, mais si Jeorg avait tout de suite donné son accord et se réjouissait de cette fête, Madeleine, elle, n'y tenait guère et la perspective de la panse de brebis farcie lui fit renoncer définitivement à accompagner son ami. Jeorg en fut navré, mais (auteur)
May O'Naiz, une amie d'Harry Cow, se proposa de lui tenir compagnie. (auteur)
En apprenant cela, Madeleine avait beaucoup pleuré et voulut revenir sur sa décision, mais c'était déjà trop tard : la jolie May O'Naiz sera de la soirée et Madeleine ne put que pleurer davantage... Quant à May O'Naiz, elle était ravie. Elle connaissait ce genre de soirées où les hommes seront occupés à boire et à fumer pendant qu'elle, seule femme présente, elle sera sur le podium et chantera.
May O'Naize avait un joli filet de voix, elle faisait un tube chaque fois et les hommes étaient fous d'elle. Ils en parleraient encore longtemps après sa prestation : "Hein ! Le tube de May O'Naize hier soir, c'était quelque chose..."
En fait, la chanteuse était fiancée à Pat O'Sitron et Madeleine avait tort de s'inquiéter : May O'Naize, O'Sitron, ces deux-là ne se quitteront jamais, unis à la vie à la mort. Plus tard, ils se marieront, habiteront Dijon et auront plein de moutards. (auteur)
Harry Cow, qui ignorait la liaison entre May O'Naize et O'Sitron, avait eu jusque-là quelques espoirs sur la jeune chanteuse et rêvait d'une union passionnée entre lui, Harry Cow, et May O'Naize. En découvrant la vérité, il fut d'abord vert de jalousie, puis chercha bonne fortune ailleurs. (Que le lecteur se rassure, Harry Cow ne tardera pas à trouver chaussure à son pied en la personne raffinée de mademoiselle O'Boeur). (auteur)
En fait, Jeorg en eut rapidement assez de cette soirée. Ses amis Écossais l'avaient vite oublié, et de valse en valse, May O'Naiz n'en finissait pas de tourner.
Il s'installa à une table, et dans la vapeur du whisky ses pensées revinrent rapidement vers Madeleine et Juliette. Madeleine allait-elle lui en vouloir d'être allé à ce bal sans lui ? Il pensait déjà au bouquet qu'il allait lui offrir pour se faire pardonner, car les fleurs, Madeleine, elle aime bien ça. Finalement, il changea d'avis, il lui achètera une énorme boîte de bergamotes qu'il avait vue dans la vitrine d'une grande pâtisserie. "Les fleurs sont périssables, et les bonbons sont tellement bons..." se dit-il.
Et Juliette ? Il imaginait Juliette dans son pensionnat... (auteur)
Il est temps, cher lecteur, de vous révéler le secret de Juliette...
Lorsque Juliette eut neuf ans, elle fit une découverte fort étrange. C'était une nuit de pleine lune. Elle dormait d'un sommeil agité lorsqu'elle se réveilla brusquement, en sueur, ressentant vivement des picotements et des grattouillis sur tout le corps. Elle se tourna et se retourna dans le lit en se grattant à s'écorcher. Elle finit par allumer la lampe de chevet et fut on ne peut plus surprise de découvrir que sa douce peau de petite fille s'était couverte d'un fin pelage. « Voilà qui n'est pas banal... », se dit-elle un peu amusée, et lorsqu'elle découvrit son nouveau visage dans le miroir elle fut remplie de joie d'y voir un museau de louveteau : Juliette était devenue une louve-garou.
Elle savait que c'était génétique. Son arrière-grand-père maternel était un loup-garou et on parlait de lui avec un respect immense. L'enfance de Juliette avait été bercée par des récits extravagants, toujours accompagnés d'un long "chuuuuut... il ne faut en parler à personne !"
Jusqu'à présent, les chroniques familiales n'avaient parlé que d'hommes loups-garous. Le coeur de la petite Juliette éclatait de fierté : elle serait la première femme, la première louve-garou parmi les siens.
Elle courut dans la chambre de ses parents pour leur annoncer l'évènement. Lorsque ses parents découvrirent la transformation de leur fille, ils se mirent à hurler, et sa mère trouva même le moyen de s'évanouir.
Ils eurent ensuite beaucoup de mal à expliquer à la petite fille qu'être louve-garou n'était pas vraiment une bonne nouvelle.
Elle pleura un peu, se consola vite en pensant que tout de même elle avait un destin tout à fait hors du commun.
Le lendemain matin elle avait repris son aspect habituel. Par la suite, soumise à un régime végétarien strict et bénéfique, elle grandit normalement, quoique nettement plus mûre et plus grave que les autres fillettes de son âge. Seuls les proches membres la famille, au fil des ans, furent mis au courant mais personne ne trahirait jamais Juliette, ils se l'étaient tous jurés.
Parfois, lorsqu'elle vous regardait, ses yeux devenaient jaunes et vous glaçaient le sang et d'autres fois sa voix prenait d'étranges tonalités rauques, mais c'est tout.
Au collège, les nuits de ses transformations passaient inaperçues : elle avait une chambrette pour elle toute seule et les murs de cette vieille bâtisse étaient si épais qu'elle pouvait hurler tout son saoul, la tête sous l'oreiller, sans déranger qui que ce soit... (auteur)
Et Jeorg dans tout cela ? Il avait treize, quatorze ans, peu avant que sa cousine vienne habiter chez eux, lorsqu'il entendit parler pour la première fois de ses métamorphoses cycliques. Au fond de lui, il n'y croyait pas et voyait en Juliette une fillette zinzin à souhait. Après tout, ce ne sont que des légendes et il avait un esprit plutôt cartésien qui s'opposait à ces délires. Il voyait là des troubles comportementaux psycho-morbido-affectifs caractériels et hallucinofrénétiques d'une gamine mal dans sa peau. De plus, il avait lu Ovide et Kafka. L'imaginaire, pour lui, n'avait place que dans l'esprit d'un romancier farfelu et la réalité c'était le quotidien, le labeur, gagner sa croûte, le baillement de fonds, la vie quoi !
Toutefois, il y avait aussi au fond de lui une aptitude au romanesque et, lorsqu'il croisait le regard hybride de Juliette, il se sentait tout chose, bizarre, et alors il l'idolâtrait, respectueux de pouvoirs qu'il ne cherchait plus à expliquer. (auteur)
Et puis, les loups-garous ne sont plus ce qu'ils étaient, les temps modernes ont désarmé leur nocivité et les ont rendus presque doux comme des agneaux... (auteur)

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Participants : Joël Eldad, VoctirHogu, Martine Després, Boom, L'Amalo
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Sans titre 2 - Texte proposé par Selfcontrol

Les tours projetaient leurs ombres sales sur la dalle humide. À chaque angle de rue on pouvait trouver des containers à ordures plus ou moins calcinés. De toute façon il y avait belle lurette qu'on ne se servait plus des poubelles, c'était beaucoup plus simple de balancer les sacs plastiques emplis de déchets directement par la fenêtre. Il y avait encore des carcasses de voitures brûlées depuis longtemps et qu'on ne se donnait plus la peine d'enlever.
Parmi elles, une épave de voiture de police. Cela avait dû être chaud pour l'équipe de flics qui s'était aventurée jusqu'ici : morts lapidés sous une pluie de caillasses ou cramés vifs... (auteur)
Un vent glacial se faufilait entre chaque bâtiment. Au pied de chaque immeuble, des zombies avachis parlementaient à voix basse, les mains profondéments enfoncées dans des pantalons XXL et la tête encapuchonnée jusqu'au nez. Comme s'il devaient absolument dissimuler leur regard. En revanche les inévitables lecteurs Mp3 vomissaient un rap agressif et contestataire...
- Z'y va ! Lui eh ! Bouffon, t'es ouf !
- Qui c'est çui là ?
- Oh mec ! Qu'est-ce tu viens branler dans notre zone ?
Cela allait nécessairement déraper, c'est à moi qu'ils s'adressaient... Franchement, c'est vrai, qu'est-ce que j'étais venu glander dans cette zone ?
Je venais sauver Sawana...
 (auteur)
Sawana : tout et rien, grandiose et minuscule, une idée qui surgit de nulle part, se transforme en roman fleuve, disparaît aussi sec.
Sawana, un côté pile, moche, fade, un côté face à vous damner.
Sawana, un sourire à mourir et justement, j'étais là pour lui, enfin... pour le retrouver ! (auteur)
Et pourtant je connaissais à peine ce mec. Je l'avais quelques fois rencontré chez sa soeur à Marseille. C'était pour elle, à sa demande, que j'avais quitté le soleil des calanques, les cigales et le pastis, pour venir me perdre dans cette banlieue du nord pourrie. Les quartiers nord de Marseille sont tout aussi glauques, mais avec le soleil en plus. (auteur)
La banlieue, les bas quartiers, tout ce monde m'était inconnu et c'était la première fois que j'y venais.
Ceux qui m'avaient interpellé se tenaient devant moi en se dandinant légèrement ; ils ne semblaient pas agressifs, plutôt sur leurs gardes.
D'autres s'approchèrent, du même pas déhanché et somnolent, la même allure d'haricots verts penchés. Ils étaient une dizaine à présent qui me faisaient face, les yeux absents sous les visières de leurs casquettes ou les franges de cheveux qui zébraient leur visage.
Le dernier arrivé, plus âgé que les autres, s'avança vers moi, les dents serrés. Ma présence semblait ne lui inspirer que du dégoût : il cracha par terre devant mes pieds et jeta :
- Tire-toi, mec, on n'aime pas les fouteurs de merde ici ! (auteur)
Je résistais à une furieuse envie de prendre mes jambes à mon cou, de toutes façons je n'avais aucune chance de sortir indemne de ce traquenard !
J'éructais le nom de Sawana, et attendais... Leur réaction fut immédiate (auteur) : c'était clair, ils étaient surpris par mon apparent sang froid.
Un type me tapa sur l'épaule en disant "Toi mec, tu me plais !"  (auteur)
Alors, je me sentis plus grand : c'était évident, j'avais pris au moins cinq centimètres ! Et mes petits muscles venaient de se couvrir de platine...  (auteur)
"Vous... vous connaissez Sawana ? balbutiai-je.
Le type qui m'avait tapé sur l'épaule ricana et se tourna vers sa dizaine de potes restés en retrait dans l'ombre.
"Eh, les gars, y m'demande si on connait Sawana. On l'connaît, hein, Sawana ?"
La réponse vint sous la forme d'une hilarité générale et bruyante - mais je ne pus m'empêcher de constater qu'il y avait dans certains de ces rires une certaine nervosité.
"Ouais, on connaît Sawana, me dit mon interlocuteur. On l'connaît même bien. Qu'est ce tu lui veux, à Sawana ?
- Je viens de la part de sa soeur. Elle...
- Sawana il a pas d'soeur, mec.
- Si, elle habite Marseille et...
- Et toi tu viens d'Marseille aussi ?"
Le silence qui suivit cette question était poisseux de tension. Visiblement, de la réponse que j'allais donner dépendait la suite de l'entretien, la suite de ma quête de Sawana et peut être même une grosse partie de mon intégrité corporelle. Pas besoin d'être sociologue pour savoir que les types du coin avaient la haine de tout ce qui venait de Marseille. Une haine par principe, pour faire comme leurs modèles footballeurs ou rappeurs. Une haine qui servait évidemment les intérêts - financiers - de ces modèles et de leurs mentors, mais dont les loulous qui se trouvaient autour de moi n'étaient que les tristes pantins inconsciemment décérébrés. Il m'aurait fallu des heures pour leur expliquer qu'on se foutait d'eux et qu'ils n'avaient aucune raison valable de détester Marseille - et par extension tout ce qui dépassait leur quartier. Mais je n'avais que quelques micro-secondes pour répondre à la question. Comme j'avais la baraka, je répondis finalement.
"Oui, je viens de là-bas mais je...
- Alors tu dégages, sale fils de pute." m'interrompit mon interlocuteur en m'adressant un majeur bien dressé.
Et voilà. Fin de la baraka. Fin de l'entretien. Fin de la recherche de Sawana. Je n'avais plus qu'à retourner chez moi. Mieux valait s'éloigner vite fait de la bande qui me regardait en faisant des commentaires à voix basse.
Je m'enfonçais donc de nouveau dans la semi-pénombre de cette grande déchetterie à ciel ouvert. Je repérais au loin l'enseigne jaune et lumineuse d'un fast-food américain et me rendis compte que j'avais une dalle d'enfer. Petite fourmi perdue au milieu de ces immenses barres habitées, je me dirigeais avec hâte vers ce haut lieu de la mal-bouffe. Il faisait un froid de canard.
Soudain, une petite voix surgit de la pénombre.
"Eh mec !"
Je continuais mon chemin sans m'arrêter, mû par une sourde angoisse. Mais la petite voix m'appela de nouveau.
"Eh mec ! C'est toi qui cherche Sawana ?"
Je m'arrêtai net et me retournai pour faire face à mon mystérieux interlocuteur. Des marches d'escalier d'un bâtiment tout proche descendit un petit bout d'adolescente... (auteur)
Elle avait une démarche glissante, presque aérienne. Il faisait trop sombre pour que je puisse distinguer ses traits. Elle s'arrêta à quelques mètres de moi et, sans bien comprendre pourquoi, je me sentis glacé.
Quelque chose émanait d'elle que je ne voulais même pas analyser. Elle posa une nouvelle fois sa question :
"Hein ? Tu cherches Sawana ?"
Sa voix était un peu rauque, traînante, enveloppante...
J'avais une boule dans la gorge. Je répondis un "Ouais" bafouillé, à peine audible... (auteur)
La fille, arrivée à ma hauteur, me toisa d'un air impérieux mais comme teinté d'une certaine mélancolie. Je répétai :
"Oui, c'est moi qui cherche Sawana. Tu crois que tu peux m'aider ? Ou tu vas me rejeter comme les autres, sous prétexte que je viens de Marseille ?"
J'avais presque crié. Certes, j'avais peur, mais j'étais aussi frustré d'avoir été contraint d'abandonner. La jeune adolescente me regarda droit dans les yeux, d'un regard perçant, si profond que, de peur de tomber dans le gouffre de ses grands yeux noirs, je détournai le regard en me demandant si je n'aurais pas mieux fait de me taire.
Elle ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose, mais, au dernier moment, elle se ravisa. Elle répéta ceci plusieurs fois avant de bégayer, d'un air peu assuré, mais qu'elle tentait de masquer :
"Ça, c'est leur blem. Pas le mien.
Elle avait changé de posture. Je voyais bien que je l'avais destabilisée. Gardant mon avantage, je répondis :
- Très bien.
- Très bien, répéta-t-elle d'une voix plus confiante ; suis-moi. (auteur)
Elle me fit signe de la suivre et remonta l'escalier. Je la suivis. Nous sommes entrés dans une cour suintante d'humidité, aux murs pelés. Elle avait une démarche heurtée, une jambe un peu raide, peut-être une blessure ?
Un type fermait la marche. Je l'entendais derrière moi : il chantonnait à voix très basse un air lancinant. (auteur)

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Participants : Selfcontrol, Martine, L'Amalo, Guy, Carlos, Knarf, Boom, Maria Mignot
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