Petit rappel du Mythe de la Caverne
Platon nous raconte l’histoire d’hommes enfermés depuis leur naissance dans une caverne.
Ils sont attachés de telle manière qu’ils ne peuvent voir que le mur en face d’eux, sur lequel se projettent des ombres d’objets portés derrière eux, éclairés par un feu.
Pour eux, ces ombres sont la réalité, parce qu'ils n'ont jamais rien connu d’autre.
Un jour, l’un d’eux est libéré.
D'abord ébloui, douloureusement désorienté, il découvre peu à peu le monde extérieur : la lumière, les objets réels, la nature, et le soleil.
Il comprend alors que ce qu’il croyait être la vérité n'était qu'une illusion.
Le mythe symbolise le chemin difficile vers la connaissance véritable : quitter ses certitudes, accepter l'inconnu, et affronter la lumière du réel, parfois déroutante mais libératrice.
(La République,
Livre VII)
Maintenant... laissez-moi vous raconter comment tout cela s’est vraiment passé.
S
ous la voûte chaude de l’Académie d’Athènes, un public attentif se presse, assis tranquillement à l’ombre, écoutant Socrate expliquer avec ferveur le célèbre mythe à son disciple, Glaucon, pendant que Platon prend des notes.
Socrate, grandiloquent, dit à Glaucon :
— Figure-toi des hommes enchaînés dans une caverne. Ils sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés. Ils ne peuvent ni bouger, ni tourner la tête, ils ne voient qu’un mur devant eux. Derrière, un grand feu. Entre le feu et les prisonniers, des montreurs de marionnettes portent des statuettes d’hommes et d’animaux et les font passer, comme des ombres chinoises…
— Voilà, s’écrie Glaucon, un étrange tableau.
— Assurément, de tels hommes n’attribueront de réalité qu’aux ombres des objets fabriqués. Considère maintenant ce qui arrivera si on délivre l’un d’eux de ses chaînes…
L’un des prisonniers s’appelle Turlubuc...
On le libère de ses chaînes, mais il ne bouge pas, alors, l’un des gardiens, lui ordonne :
— Allez Turlubuc, lève-toi, tu es libre !
— Quoi ? Et alors ?
— Alors tu sors ! Ouste !
— Ça ne va pas, qu’est-ce qui vous prend ? je ne sors pas moi !
Les gardiens, un peu étonnés, insistent, avancent des arguments raisonnables :
— Ici, c’est l’ombre !
— Tu ne vas quand même pas rester ignorant toute ta vie !
— Et le soleil ? Tu ne sais même pas ce que c’est !
Mais Turlubuc n’entend rien et ne veut rien savoir. Il est bien comme il est, nourri, logé, il s’entend bien avec ses camarades de chaînes, tout est pour le mieux !
— Le soleil ? Rien à cirer ! Je refuse et c’est tout !
Un parlementaire surgit en courant, la tunique et les fibules à l’envers, les sandales dénouées qui font « clap-clap » à chaque pas. Il arrive, essoufflé et tente de raisonner ce prisonnier entêté :
— Allez, Turlubuc, ici, tout n’est qu’illusions, là-haut tu trouveras le vrai monde, les merveilles du monde intelligible.
— M’en fous !
— Mais… Turlubuc… dehors, il y a de l’herbe, la vraie nature, des papillons, des oiseaux, des fleurs !
— Pourquoi moi ? Libérez quelqu’un d’autre ! C’est moi qui ai la meilleure place pour voir le film du jour : un arbre passe puis un type passe, et, lorsqu’il revient en sens inverse, là c’est l’arbre qui le suit et après, à nouveau, l’arbre passe et le type suit...
Turlubuc résiste. Il s’agrippe à ses chaînes et hurle : « Non, pas moi, je n’ai rien fait ! libérez les autres, moi, je reste ici ! »
Son obstination est telle et si inattendue que les gardiens se concertent, puis demandent au gardien-chef ce qu’ils doivent faire ?
— On le laisse et on en libère un autre, chef ?
— Il n’en est pas question ! faites-le sortir ! de force s’il le faut, mais il faut absolument qu’il se rende dans le monde supérieur, nom d’une cacahuète crétoise ! »
Finalement, Turlubuc est soulevé de force par les gardes. Il se défend, hurle, donne des coups de pieds. Sa résistance est vaine, on le porte presque pour le hisser au haut de la longue pente escarpée, « Ho hisse ! » On le tire jusqu'au haut de la caverne, on le sort de force et on verrouille vite le lourd portail en bois et cuivre pour l'empêcher de revenir.
Turlubuc, tambourine violemment. Le portail s’entrouvre à peine, juste pour lui lancer une paire de lunettes de soleil.
Hébété, Turlubuc ne comprend rien. Il est complètement perdu, il en veut à ces fadas qui l’ont expulsé de force. Sans aucune protection juridique ! « Je me plaindrai ! hurle-t-il encore, c’est une violation des Droits de l’Homme ! »
Et en plus il ne voit plus rien. Il met les lunettes de soleil, en regrettant qu’on ne lui ait pas laissé le temps de se débarbouiller un peu, de prendre quelques provisions.
Socrate continue :
« Il aura je pense besoin de temps pour s’habituer à voir. D’abord, ce seront les ombres qu’il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux, ensuite les objets eux-mêmes. Après cela, il pourra affronter la clarté des astres et de la lune, A la fin j’imagine, ce sera le soleil… »
Turlubuc attendra la nuit pour voir la lune
Pendant ce temps-là, sur la place publique d’Athènes, une sonnerie discrète retentit dans l’assemblée, puis quelqu’un tape sur l’épaule de Socrate, « C’est pour toi Ô grand Maître… » Socrate s’éloigne à nouveau, et prend la tablette qu’on lui tend : « Quoi ? Par Zeus ! »
Il paraît hésitant et se tourne vers Glaucon :
« Imagine mon cher Glaucon, que cet homme, dont les yeux sont aveuglés par le soleil ne veuille redescendre dans la caverne et s’asseoir à son ancienne place ? »
Après une bonne nuit de sommeil, Turlubuc se met en route. Il croise des fleurs, des rivières, des lapins.
En apercevant des arbres il devient presque fou de reconnaissance. Il s’assied au pied d’un vieux chêne indolent, et attend de le voir passer devant lui ; mais l’arbre ne bouge pas. Après plusieurs heures de vaine attente, Turlubuc commença son apprentissage de l’intelligence.
Sur la tribune, Socrate discoure toujours, Glaucon écoute et Platon continue à tout noter.
« Glaucon, imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s’asseoir à son ancienne place : n’aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil ? Et s’il essaie de parler avec les prisonniers qui n’ont point quitté leurs chaînes, de leur raconter que la vérité est ailleurs, ne riront-ils pas à ses dépens, et ne diront-ils pas qu’étant allé là-haut, il en est revenu sans raison, de sorte que ce n’est même pas la peine d’essayer d’y monter ? Et s’il tente de les délier et de les conduire en haut, ne le tueront-ils pas ? »
Ce que Platon n’a pas rapporté, c’est que Turlubuc, dans son errance sur les chemins de la Vérité et du Bien, rencontrera une jeune fille du nom de Julie qui lui fera vite oublier ses compagnons d’infortune de la caverne.
« Y retourner ? Moi ? jamais de la vie ! Hein, ma Julie ? »
Fin
Auteurs : Intéa, Intelligence Artificielle Spéciale et Niki
Illustration : La Grotte de Platon, attribué à Michiel Coxcie, milieu du XVIe siècle. Musée de la Chartreuse, Douai.